Pourquoi les USA entrèrent-ils si tard dans la Première Guerre mondiale? Deux ans et demi après le début du conflit, il y a tout juste 106 ans, le 6 avril 1917, le congrès américain déclarait la guerre à l’Empire Allemand. Pour expliquer cette implication tardive, il faut en premier lieu remonter au XIXème siècle. Le 5ème président des Etats-Unis, James Monroe, prononce le 2 décembre 1823 un discours au Congrès qui établit une doctrine claire en matière de politique extérieure: les Amériques ne sont plus ouvertes à la colonisation ; toute intervention européenne dans la politique du continent sera considérée comme une menace à la paix ; les Etats-Unis ne s’engageront pas dans les affaires de l’Europe. C’était là l’affirmation d’une neutralité et d’un isolationnisme qui allaient caractériser la politique du pays jusqu’au début du XXème siècle. Cette doctrine allait leur permettre de récupérer certains Etats appartenant aux puissances Européennes, tels la Floride, le Texas, la Californie ou encore l’Arizona. En outre, plus tard, à la fin du XIXème siècle, le pays allait également lancer des opérations militaires et financières dans une multitude de pays d’Amérique Centrale et du Sud, une politique expansionniste et interventionniste que le président Theodore Roosevelt allait justifier grâce au « corollaire de la doctrine Monroe » qu’il exposera dans son discours du 6 décembre 1904 au Congrès. Ce corollaire polémique allait provoquer l’indignation de certains dirigeants européens, dont un certain Guillaume II, empereur d’Allemagne…
William Howard Thaft avait succédé à Franklin Roosevelt et avait exercé de 1909 à 1913. Lors des élections de 1912 cependant, Thaft, et Theodore Roosevelt, qui briguaient tous deux un second mandat, se virent défaits par Woodrow Wilson, qui devint le 28ème président du pays. Lors du début de la Grande Guerre, en 1914, fidèle à la doctrine Monroe, le pays déclara sa neutralité. Cependant, il ne resta pas sans rien faire: Wilson tenta d’organiser des négociations de pays entre les deux camps européens, initiative qui n’aboutit pas. Par ailleurs, de par leur neutralité, les Etats-Unis justifiaient ainsi la poursuite des relations commerciales aussi bien avec la Triple Entente, qu’avec la Quadruplice. C’était sans compter sur la réaction du Royaume-Uni, qui imposa rapidement un blocus naval à l’Allemagne pour stopper son ravitaillement. L’enchaînement se poursuivit avec l’engagement de la campagne sous-marine allemande, qui prit pour cible les routes commerciales alliées dans les mers autour des îles britanniques, et en Méditerranée. Ce qui devait arriver arriva: les sous-marins allemands finirent par couler plusieurs navires américains au début de l’année 1915, tandis qu’en mai de la même année, le torpillage du RMS Lusitania, un paquebot transatlantique britannique qui transportait entre autres, 125 américains, causa un fort émoi. Wilson s’éleva contre ce drame et exigea que cela ne se reproduise pas. Cet évènement allait lancer les préparations du pays à une potentielle entrée en guerre future. En mars 1916, le torpillage du SS Sussex, sous drapeau français, par les forces allemandes, prompta Wilson à obtenir d’eux un serment de guerre sous-marine sous restriction. Mais il n’allait pas être respecté longtemps…
La population multiethnique des Etats-Unis comptait de nombreux citoyens originaires des pays belligérants, et avait exprimé au début de la guerre son souhait de rester neutre vis-à-vis des évènements qui se déroulaient outre-Atlantique. Mais peu à peu, ce souhait de neutralité commençait à s’effriter, justement à cause du fait que les allemands reprochaient au pays de ne pas vraiment l’être! En effet, le réseau d’espionnage dirigé par Franz von Rintelen lança plusieurs opérations de sabotage sur le territoire américain, afin d’enrayer l’acheminement de ressources aux pays de l’Entente. La plus notable se produisit le 30 juillet 1916, à Jersey City, New Jersey. Là-bas s’y trouvait une petite île, la Black Tom, qui servait de dépôt au port de New York, dans lequel étaient stockés les wagons de fournitures (munitions, explosifs) à destination des pays européens en guerre. Les agents de von Rintelen y placèrent des bombes incendiaires à retardement, dites « crayon », dont la détonation a provoqué une explosion d’environ 5,5 sur l’échelle de Richter! Dans un rayon de 40km, les vitres furent brisées ; plusieurs personnes furent tuées et de nombreuses blessées ; le souffle de l’explosion atteignit même la Statue de la Liberté, dont une centaine de rivets sautèrent. La visite du bras et de la torche du monument furent immédiatement interdites, et l’accès à la Liberty Island clos pour 10 jours. Cet attentat, tout comme l’explosion de l’usine de munitions, destinées à la Russie, de Lyndhurst le 11 janvier 1917, contribuèrent au glissement de l’opinion du peuple américain quant à sa neutralité dans le conflit.
La prise en compte de la volonté de neutralité du peuple américain était un enjeu électoral crucial pour les élections présidentielles de 1916, que Woodrow Wilson remporta, s’y étant jusqu’alors conformé. En dépit des conséquences des torpillages de la guerre sous-marine, le pays restait neutre. Mais Wilson, maintenant réélu, avait plus de liberté pour des initiatives guerrières. Et en effet, l’année 1917 allait marquer un tournant dans l’histoire du pays à plus d’un titre. En janvier, les services d’espionnage britanniques de la Room 40 interceptent une communication codée entre le ministre des affaires étrangères allemand, Arthur Zimmerman, et l’ambassadeur allemand au Mexique, Heinrich von Eckhardt, connue sous le nom du Télégramme Zimmerman. Dans cette missive secrète, le premier ordonnait au second de proposer une alliance avec le Mexique, dans l’éventualité où les Etats-Unis rejoignent le conflit, alliance qui se solderait par la récupération par le Mexique des Etats du Texas, de l’Arizona et du Nouveau-Mexique. Les allemands se proposaient de financer l’effort de guerre mexicain pour ce faire. Ils suggéraient de plus au président mexicain de prendre la liberté d’inviter le Japon au même type d’accord. Bien évidemment, les britanniques transmirent la communication aux Etats-Unis, tout en appuyant bien sur le danger que cela représentait. C’était un pas – de géant – de plus vers la déclaration de guerre…
Zimmerman, dans son télégramme, avait spécifié dès le début l’intention de l’Allemagne de reprendre la guerre sous-marine sans restriction le 1er février 1917, ce qui aurait très probablement pour effet de forcer les Etats-Unis à leur déclarer la guerre. La proposition d’alliance au Mexique était donc autant justifiée que nécessaire pour eux. Mais le pays est face à une guerre civile, ne pouvait pas espérer tenir tête à son voisin, et ne pouvait pas faire entièrement confiance à la promesse de financement. Woodrow Wilson reçut le télégramme de la part des britanniques le 23 février 1917, 23 jours après la reprise de la guerre sous-marine allemande, qui allait en mars couler 5 navires américains dans l’Atlantique Nord, et pouvait devenir problématique pour l’approvisionnement du Royaume-Uni. Face à cette menace vis-à-vis de ses liens commerciaux avec la Triple Entente, et l’outrage du télégramme, Wilson devait agir. Il informe rapidement la presse du contenu du télégramme, qui se charge de diffuser à l’opinion publique. S’ensuivit forcément un émoi général, qui marqua un changement d’opinion définitif de la part du peuple américain quant à l’implication du pays dans la guerre. Il lui était en effet impossible de rester impassible face aux initiatives allemandes, mais au nombre de victimes ahurissants en Europe, aux exactions commises en Belgique… Si bien que lorsque le président Wilson se présenta pour une séance spéciale au Congrès, le 2 avril 1917, et qu’il avança la déclaration de guerre, qui serait « une guerre pour mettre fins à la guerre », une responsabilité morale du pays, le soutien fut total. La déclaration de guerre fut officialisée le 6 avril.
On pourrait encore dire mille et unes choses sur cette entrée en guerre, et la suite de ces évènements, mais Dominique François en parlera mieux que nous. C’est le 28 avril, à 20h, au musée, que l’historien et auteur abordera le rôle de ce Corps Expéditionnaire dans le conflit, pour une conférence qui s’annonce passionnante!
Réservations:
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